Le délit d’entrave et le CSE

  • Définition du délit d’entrave

Le délit d’entrave se définit comme un manquement aux règles de mise en place et de fonctionnement du Comité Social et Economique (CSE).

  • Le délit sous l’approche du droit pénal

Pour qualifier une infraction pénale (art. 121-3 du Code pénal), il convient de réunir plusieurs conditions :

– un élément légal : texte de loi définissant l’infraction,

– un élément matériel : action ou omission,

– un élément moral : caractère intentionnel ou volontaire.

Précisant que l’élément moral du délit d’entrave découle par exemple :

– « des faits relevés » (Cass. crim., 10 févr. 1972, n° 71-90395) ;

– « de l’infraction constatée » (Cass. crim., 28 oct. 1980, n° 80-90717)

– « nécessairement des circonstances mêmes des faits incriminés » (Cass. crim., 10 juin 1986, n° 85-94616) ;

« du caractère volontaire des agissements constatés » (Cass. Ass. Plén., 28 janv. 1983, n° 80-93511) ;

« du refus volontaire de communication » (Cass. crim., 3 janv. 2006, n°05-80443)

– « d’une omission » (Cass. crim., 29 juin 1982, n° 81-93572) étant précisé que la méconnaissance de disposition claire d’un texte peut constituer l’élément intentionnel (Cass. crim., 4 mai 1971, n° 70-91862).

  • Le responsable de l’infraction (personne physique/ personne morale)

Concernant la personne physique, en règle générale il s’agit de l’employeur, sauf à ce qu’il s’agisse d’une autre personne en raison d’une délégation de pouvoir.

L’employeur même en cas de délégation de pouvoir peut être jugé responsable s’il participe personnellement à la commission des faits. (Cass. crim., 20 mai 2003, n° 02-84307). La même responsabilité de l’employeur en tant que personne physique est encourue s’il a connaissance des faits relevant d’une entrave et qu’il ne prend aucune mesure pour les faires cesser. (Cass. crim., 15 avril 1982, n° 81-93041)

Concernant la personne morale, il s’agit d’une entreprise de droit privé à but lucratif, mais aussi de droit public, sauf l’Etat.

La faute doit être commise par le représentant légal de l’entreprise, le conseil d’administration, le directoire, l’assemblée générale … .

Plus généralement, toute personne est responsable pénalement des actes qu’elle commet.

  • La prescription

Au terme de l’article 8 du Code de procédure pénale, la prescription d’un délit est de 6 ans à la date de la commission des faits.

Sauf à considérer que l’infraction est continue repoussant alors le point de départ à la dernière date des faits incriminés. Par exemple, lorsqu’un l’employeur refuse de rétablir un salarié protégé dans son emploi suite à un refus de licenciement de l’inspecteur du travail, la prescription court à compter de sa réintégration. (Cass. crim., 23 avril 1970, n°69-90230)

Ajoutant que le délai de la prescription cesse de courir lors de l’établissement d’un procès-verbal de l’inspecteur du travail, lors d’une plainte avec constitution de partie civile ou lors d’une citation directe.

Par contre une plainte simple adressée auprès du Procureur de la République n’interrompt pas la prescription. (Cass. crim., 11 juil. 2012, n° 11-87583)

  • Quelle procédure faut-il engager ?

S’agissant d’une sanction pénale au titre d’un délit, l’entrave est jugée par le Tribunal correctionnel.

Les poursuites peuvent être engagées par le Procureur de la République à la suite d’un procès-verbal de l’inspecteur du travail qu’il lui transmet (art. L.8113-7 du Code du travail), mais aussi à la suite d’une plainte par la partie lésée (par exemple le CSE en tant que personne morale au titre de la personnalité civileart. 40 du Code de procédure pénale).

Il peut aussi y avoir une citation directe devant le Tribunal correctionnel à la demande de la partie lésée, mais aussi à la demande du Procureur de la République (art. 550 et s. du Code de procédure pénale).

Et il peut y avoir enfin une constitution de partie civile, ce qui revient à demander au Juge pénal la réparation du préjudice à titre de dommage et intérêt en plus de la condamnation au titre de l’action publique.

Sur ce point, peut se constituer partie civile toute partie victime, qu’elle soit personne physique ou personne morale (art. 85 du Code de procédure pénale).

Précisant que le CSE dispose de la personnalité civile (art. L.2315-23 al. 1er du Code du travail) et peut à se titre se constituer partie civile.

Ainsi, un délégué syndical de l’entreprise peut se constituer partie civile en tant que personne physique dans le but d’obtenir réparation du préjudice en cas d’entrave à l’exercice du droit syndical.

Mais les syndicats n’ont pas à justifier d’un préjudice personnel et direct pour intenter une action en justice, en vertu du droit à agir « au nom de l’intérêt collectif de la profession » qu’ils représentent, tant au titre de l’entrave au droit syndical qu’au titre de l’entrave au fonctionnement du Comité. (Art. L. 2132-3 du Code du travail, Cass. crim., 14 déc. 1993, n° 91-83977)

Et d’un point de vue civil, le Juge des référés du Tribunal judiciaire peut faire cesser le trouble manifestement illicite comme il peut prendre une mesure conservatoire pour prévenir d’un dommage imminent. (Art. 835 du Code de procédure civile)

Par exemple, constitue un trouble illicite manifestement excessif, le fait d’interdire la libre circulation d’un représentant du personnel membre de la commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT) en période de COVID. En effet, rien n’interdit qu’il puisse se déplacer sur le lieu de travail pour rencontrer les salariés présents. (Tribunal judiciaire de Saint-Nazaire, 27 avril 2020, RG 20/00125).

Plus généralement, la seule exigence d’un trouble manifestement illicite implique l’urgence de la mesure tendant à le voir cesser. (Cass. soc., 5 janv. 1979, n° 77-13577, BCV n° 13)

De même, constitue un dommage imminent la violation du droit d’information et de consultation du CSE sur un projet de licenciement portant sur 10 salariés ou plus sur une période de 30 jours.

  • La nécessaire résolution du CSE et la délégation expresse

Au-delà du fait que le CSE s’attachera à s’assurer de l’intérêt à agir en lien avec les missions qui lui sont dévolues et l’existence d’un préjudice subi, il devra porter la question d’ester en justice à l’ordre du jour d’une réunion ordinaire ou extraordinaire en prenant soin d’indiquer la désignation de l’un de ses membres, souvent le secrétaire, pour agir aux intérêts du Comité à travers une délégation expresse.

Ajoutant que l’employeur ne participe pas au vote.

Néanmoins, la désignation de la personne pour représenter le CSE en justice peut exister dans le règlement intérieur. Il n’en demeure pas moins qu’une résolution sera nécessaire afin d’engager une procédure en justice.

  • Quelques exemples de délits d’entrave :

– L’absence de mise en place du CSE :

Le CSE est obligatoire au sein de chaque entreprise depuis le 1er janvier 2020 dès lors que l’effectif atteint 11 salariés (équivalent temps plein) sur 12 mois consécutifs (art. L.2311-2 du Code du travail). L’employeur commet un délit d’entrave au CSE lorsqu’une action ou une inaction de sa part fait obstacle à la mise en place d’un tel comité. 

Le délit d’entrave existe également lorsque l’employeur refuse de procéder au renouvellement du CSE à la fin du mandat des élus actuels.

– L’atteinte à l’exercice du droit syndical. (Cass. Ass. Plén., 28 janv. 1983, n° 80-93511)

– L’atteinte au fonctionnement régulier du Comité :

Par exemple, la modification unilatérale de l’ordre du jour par le Président (Cass. crim., 4 janv. 1990, n° 88-33311 – cas d’un CHSCT) ; l’absence de consultation régulière (Cass. crim., 3 mars 1998, n° 96-95098 – cas d’un CHSCT) ; le non-respect des délais de communication des documents aux représentants du personnel (Cass. crim., 3 janv. 2006, n°05-80443), le fait pour un dirigeant d’essayer d’influencer le résultat d’un vote des représentants du personnel dont l’objet est le recours à un expert agréé (Cass. crim., 28 novembre 2017, n°16-86138) ; l’absence d’information/consultation du Comité concernant un prêt de main-d’œuvre. (Cass. soc., 19 juin 2001, n° 00-84275; le fait de ne pas communiquer au Comité, un mois après son élection, la documentation économique et financière (Cass. crim., 14 nov. 2006, n° 05-87554; la présentation tardive ou incomplète du bilan social (Cass. crim., 15 mai 2007, n° 06-84318; l’absence de consultation du Comité lors d’une fermeture temporaire d’un magasin (Cass. crim., 9 déc. 2008, n° 08-80788; le fait pour un employeur de rédiger ou faire rédiger sous son contrôle par une personne extérieure au Comité le procès-verbal des réunions (Cass. crim., 1er déc. 1987, n° 85-96612).

– Le fait faire obstacle à l’exercice de l’inspecteur du travail :

Par exemple, le fait de lui fournir des renseignements volontairement inexacts en cas de contrôle (Cass. crim., 27 oct. 1987, n° 87-80432), le fait de refuser de lui produire les registres obligatoires alors qu’il les demande (Cass. crim., 4 août 1998, n°97-83427), le fait de produire un faux extrait de procès-verbal (Cass. crim., 26 févr. 1991, n°90-83517).

Et d’une manière plus générale, est constitutive du délit, toute entrave aux missions générales des élus du CSE ainsi que le fait de ne pas leur donner les moyens de mener à bien leurs missions.

De même, comme vu ci-dessus, l’employeur n’est pas le seul à pouvoir être responsable d’un délit d’entrave. Un membre du CSE ou un salarié comptent aussi parmi les auteurs possibles.

Et de par leur rôle prépondérant dans la gestion du CSE au quotidien, le trésorier et le secrétaire ont d’importantes responsabilités, dans l’exercice desquelles ils sont susceptibles de commettre un délit d’entrave.

Le secrétaire du CSE commet par exemple un délit d’entrave en légitimant une décision qui n’a pas été votée à la majorité lors d’une réunion.

Le trésorier sera quant à lui responsable d’un tel délit notamment en autorisant une dépense sans s’être concerté avec les autres élus.

De manière générale, tout débordement conscient et intéressé des prérogatives attachées à la fonction de l’élu est de nature à lui valoir une poursuite pour entrave.

Autre cas de figure soutenu par la jurisprudence, un élu injurie le président du Comité lors d’une réunion et refuse de modérer ses paroles malgré la menace du président de quitter la salle le cas échéant – ce dernier s’exécute. L’incident suspend alors l’exercice du comité et perturbe son fonctionnement ! Nous sommes dans un cas de délit d’entrave commis par l’élu vindicatif.

Enfin, un salarié se risque au dépôt d’une plainte pour entrave au fonctionnement du CSE s’il empêche un ou plusieurs élus d’accéder aux locaux de l’entreprise.

  • Sanction du délit d’entrave

Le délit d’entrave est sanctionné selon la nature de l’infraction par une amende de 3750€ ou de 7500 € selon la nature de l’infraction et dans la plupart des cas d’une peine de prison de 1 an.

Il convient de savoir que si l’auteur du délit est une personne morale, le taux de l’amende légale est égal au quintuple de celui prévu pour une personne physique (art. 131-38 du Code pénal – soit 18750€ ou 37500€ selon la nature de l’infraction).

Et en cas de récidive pour une personne physique ou une personne morale déjà condamnée, le maximum des peines d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé (art. 132-10 et 132-14 du Code pénal).

Pour toutes questions, vous pouvez nous contacter.

Juliana CURATOLO
Juriste en Droit Social
ICMP


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