Le référé probatoire – Une arme redoutable pour obtenir le paiement des heures supplémentaires, et plus généralement pour obtenir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige

Peu de personnes connaissent la portée du référé probatoire en droit du travail.

Il s’agit d’un outil très efficace pour obtenir devant le Conseil de prud’hommes dans sa formation de référé la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

En effet, selon les dispositions de l’article 145 du Code du procédure civile, « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Et l’article 145 du Code de procédure civile est de portée générale de sorte que cette procédure est recevable devant la formation de référé du Conseil de prud’hommes (Cass. soc., 27 mai 1997, n° 95-41765) indépendamment d’une condition d’urgence (Cass. com., 25 oct. 1983, n° 82-13595 et 82-13596, Bull civ. IV n° 275 ; Cass. com., 26 avril 2000, n° 97-20656, Bull civ. IV n° 83) ou encore de l’existence d’une contestation sérieuse (Cass. 1ère civ., 9 févr. 1983, n° 81-16184, Bull. civ. I, n°56)

Quant à la notion « avant tout procès » qui conditionne la recevabilité de cette procédure, elle s’entend comme l’absence d’instance sur le fond à la date de la requête (Civ., 2è. 28 juin 2006, n° 05-19283 ; Civ. 2è. 8 mars 2007, D. 2008, Pan. 2827, obs. Bretzner ; (Civ., 2è. 5 juin 2014, n° 13-19967)

En réalité, cette procédure a un intérêt majeur dès lors que l’on souhaite établir les éléments de faits à un litige. (Cass. 1ère civ. 11 juin 1991, n° 90-13773, Lamyline)

Toutefois, le Juge se doit de vérifier si les demandes sont indispensables au droit à la preuve et proportionnées au but recherché « au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée ». (Cass. soc., 16 déc. 2020, n° 19-17637 …)

Enfin, « le respect de la vie personnelle du salarié et le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées ». (Cass. soc., 19 déc. 2012, n° 10-20526 …)

Quelques décisions :

(CPH de Boulogne-Billancourt, 25 mars 2022, n° RGR 22/00011)

Litige portant sur le paiement d’heures supplémentaires :

L’employeur n’ayant mis en place aucun outil de suivi des horaires de travail alors qu’il est tenu d’enregistrer la durée de travail (1) (badgeuse, feuille de présence …), il a été jugé que le salarié est fondé à demander qu’il soit extrait du logiciel les dates et les heures des ventes effectuées afin qu’il puisse reconstituer ses heures de travail et en réclamer le paiement si nécessaire.

(CPH de Nice RGR 13/00357)

Litige portant sur le taux horaire des heures de travail aux fins d’obtenir un rappel de salaire :

Il a été réclamé les duplicatas des bulletins de salaire du salarié pour les mois de septembre et décembre 2011, janvier et avril 2012 et septembre 2012 à février 2013 sous astreinte de 200€ par jour de retard.

L’employeur a remis alors les bulletins de salaire demandés alors qu’il refusait de le faire préalablement malgré des demandes par lettres recommandées.

(CA Versailles 12 nov. 2013 RG 13/02693

Litige portant sur la discrimination salariale :

Demande de « communication de pièces détenues par l’employeur en faisant état de ce qu’un autre salarié de la société xxx embauché après lui et au surplus à temps partiel avait apparemment un salaire supérieur au sien » (…)

« En matière salariale, seul l’employeur dispose des informations relatives au montant des salaires versés à son personnel tandis que le salarié ne dispose d’aucun moyen de connaître la rémunération de ses collègues. Dès lors l’appelant justifie d’un motif légitime au soutien de sa demande puisqu’il doit produire des informations dont seul l’employeur dispose et qu’il refuse de communiquer. »

« L’intimée ne peut pas pour s’opposer à la demande de communication de pièces, invoquer l’absence de commencement de preuve des faits invoqués puisque l’article 145 du Code de procédure civile n’est pas limité à la conservation des preuves et peut aussi tendre à leur établissement. Et cette demande ne constitue pas un renversement de la charge de la preuve, dans la mesure où il appartiendra aux parties au vu des documents communiqués, de démontrer l’existence ou l’absence de discrimination ».

(Cass. soc., 27 mai 1997, n° 95-41765)

Litige portant sur le licenciement :

Il a été ordonné la consignation au greffe de la juridiction, sous astreinte, des tableaux journaliers des horaires de travail de mars à mai 1994 du salarié.

« La juridiction des référés, après avoir relevé l’importance des pièces requises et leur relation avec le licenciement, a souverainement apprécié la légitimité du motif invoqué par le demandeur et déterminé les modalités de production des documents ».

(Cass. soc., 22 sept. 2021, n° 19-26144)

Litige portant sur la discrimination syndicale :

Demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société permettant de prouver la discrimination syndicale.

(CPH de Paris, référé départage, 15 juillet 2008, Ferreira c/ Sté Hutchinson, RG n̊ R 08/00996)

Litige portant sur la discrimination syndicale :

« le demandeur a un intérêt légitime à solliciter cette mesure d’expertise dès lors que l’employeur est le seul à détenir des pièces lui permettant éventuellement à étayer une demande fondée sur une discrimination syndicale ».

(Cass. soc., 16 décembre 2020, n° 19-17637 …)

Litige portant sur la discrimination syndicale :

Demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société.

Les salariés titulaires d’un mandat syndical faisant valoir que leur carrière comme leur rémunération n’avaient quasiment pas évolué en comparaison des salariés ne disposant pas d’un mandat :

« après avoir estimé que les salariés justifiaient d’un motif légitime, de vérifier quelles mesures étaient indispensables à la protection de leur droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale »

****

(1) Sur l’obligation de l’employeur d’enregistrer la durée de travail de ses salariés :

– lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur est tenu d’établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés (art. L.3171-2 du Code du travail).

– l’employeur est également placé dans l’obligation de tenir à la disposition des services de l’Inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié, même lorsque l’horaire de travail est collectif. (Art. L.3171-3 du Code du travail).

– qu’en vertu de l’application du droit de l’Union Européenne, il est fait obligation aux Etats membres d’imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur. (CJUE, gr.ch., 14 mai 2019, aff. C-55/18, Deutsche Bank : JurisData n° 2019-009307).

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Fabien THOMAS
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