Le droit d’enquête des élus du CSE

Le CSE (Comité Social et Economique) dispose en matière de santé, sécurité et conditions de travail, de la possibilité de réaliser des enquêtes notamment lors de la survenance d’un accident du travail.

Le Code du travail définit que la délégation du personnel au comité social et économique « contribue à promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail dans l’entreprise et réalise des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel » (article L.2312-5 du Code du travail pour les CSE des entreprises de moins de 50 salariés et article L.2312-13 pour les CSE des entreprises d’au moins 50 salariés).

Enfin, l’article L.2315-11 du Code du travail précise que ce temps n’est pas déduit des heures de délégation.

  • Présentation générale

L’enquête a pour objectif de collecter des informations relatives à une situation, afin de l’analyser et de la comprendre aux fins d’en tirer les conséquences pour mettre en œuvre des mesures correctives en vue d’éviter les futurs accidents ou incidents.

Il s’agit d’analyser l’ensemble des éléments qui ont pu contribuer à la détérioration des conditions de travail et d’identifier des mesures de prévention. Ce retour est important pour améliorer la prévention des risques professionnels dans l’entreprise et éviter que l’accident ne se reproduise.

Le CSE fait des propositions pour prévenir les dysfonctionnements qui ont pu se produire. Les membres du CSE peuvent se déplacer sur le lieu de l’accident afin de contribuer à l’enquête.

Il y a plusieurs méthodes d’enquête possibles et le CSE est libre dans la méthode qu’il souhaite utiliser. La plus connue est la méthode de l’arbre des causes qui a pour but de :

  • Collecter objectivement les évènements liés à l’accident.
  • Construire un arbre partant de l’accident et en s’interrogeant à chaque étape de la cause de l’évènement (ex : pourquoi le salarié a chuté ? Pourquoi la zone où il a chuté était glissante ? Pourquoi cette zone n’a pas été contrôlée ou signalée ?…).

La délégation doit définir cinq éléments pour caractériser l’accident du travail :

  • Qui : les personnes présentes au moment de l’accident (dont la victime).
  • Quoi : le travail effectué par ces différentes personnes au moment de l’accident.
  • Quand : le moment précis de l’accident (date, heure).
  • Où : le lieu précis de l’accident.
  • Comment : les éléments explicatifs de l’accident.

En fin d’enquête, il est judicieux de dresser une liste de recommandations et de moyens d’action (mesures de prévention individuelles et/ou collectives, durable et/ou provisoire, avec un coût, des délais et une analyse de ses répercussions avec un suivi).

Le rôle des élus du CSE doit être complet afin de constater, analyser et être force de proposition avec le concours de l’employeur ou en complément de ce dernier.

  • Focus sur l’enquête en cas de harcèlement moral présumé

Le harcèlement moral est prohibé par le Code du travail (art. L.1152-1) et par le Code pénal (art. 222-33-2).

Il se définit comme des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail qui porte atteinte à la santé mentale et physique du salarié et compromette son avenir professionnel.

Raison pour laquelle, le législateur a dans une telle situation, contraint l’employeur de procéder sans délai à une enquête dans les formes de l’article L.2312-59 du Code du travail.

D’ailleurs, cette obligation de mener une enquête découle de l’obligation de sécurité de l’employeur visée par l’article L.4121-1 du Code du travail.

Ainsi, même s’il considère qu’aucun agissement de harcèlement moral n’est établi, le fait qu’il s’abstienne de mener l’enquête exigée lui fait encourir une condamnation à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité. (Cass. soc., 27 nov. 2019, n° 18-10551)

C’est pourquoi, lorsqu’une situation de harcèlement moral est remontée au CSE, l’institution doit agir à trois niveaux :

  • Auprès du salarié, en instaurant un climat de confiance pour libérer la parole. Le CSE peut aussi orienter le salarié vers des professionnels de santé qui pourront le prendre en charge.
  • Auprès de la direction, en remontant l’information pour favoriser la mise en place d’actions rapides et concrètes.
  • Entre la victime et le présumé harceleur : la mise en place d’une médiation peut être une solution pour apaiser les tensions entre les deux parties (art. L.1152-6 du Code du travail) et le choix du médiateur doit faire l’objet d’un accord entre eux.

Les phases de l’enquête de harcèlement présumé :

  • Audition des protagonistes : la « victime » doit être entendue (Cass. soc., 5 juillet 2018, n°16-26.916) comme la personne incriminée par la dénonciation (CA Paris 20 mars 2018, RG n° 15/08 694). En effet, toutes les parties doivent être entendues de manière impartiale et bénéficier d’un traitement équitable.
  • Dans le même sens, il est indispensable de procéder à l’audition du salarié accusé de harcèlement (CA Chambéry, 13 sept. 2007, RG n° 06/02197)
  • Il est donc logique qu’en l’absence d’audition, l’enquête ait une portée limitée ce qui met en doute les témoignages recueillis (CA Rennes, 25 avril 2018 n° 14/07 736).
  • De même, les membres chargés de mener l’enquête auront intérêts à établir un questionnaire support aux auditions et déterminer les personnes à auditionner afin de concourir à la compréhension de la situation (CA Colmar du 14 Janvier 2014 n° 12/03 069). Et au terme de celles-ci, il est impératif d’établir un compte rendu d’audition (Cass. crim., 19 juin 2018, n°17-84.485).

A noter que si certains des témoins peuvent souhaiter garder l’anonymat, il faut savoir qu’il a été jugé que le Juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes (Cass. soc., 4 juil. 2018, n°17-18.241).

  • Concernant le salarié auteur présumé des faits, il peut faire l’objet d’une mise en disponibilité provisoire au titre d’une mesure conservatoire (Cass. soc., 8 mars 2017, n°15-23.503) destinées à garantir les intérêts de l’entreprise, pourvu qu’il n’en résulte pas, sans son accord, une modification durable de son contrat de travail. (Cass. soc., 31 janv. 2012, n° 10-24227)
  • Et au terme de l’enquête, un rapport est rédigé conjointement par les membres de la commission d’enquête et en cas de désaccord, chaque membre pourra rédiger son rapport ou faire part de ses observations par écrit.
  • Puis l’enquête sera présentée aux membres du CSE au travers d’une réunion à titre d’information et de consultation, avec pour règle essentielle de respecter une totale discrétion.

C’est à cette occasion que des mesures pourront être prises en vue d’améliorer les conditions de travail.

  • Enfin, l’employeur n’est pas tenu d’informer les élus sur la sanction envisagée à l’égard du salarié mis en cause si ce dernier est reconnu responsable (art. L.1152-5 du Code du travail).

A noter que l’enquête qui conclut à l’absence de harcèlement moral ne lie pas le juge (Cass. soc., 8 juin 2010, n°10- 80.570) comme celle qui conclut à du harcèlement moral d’ailleurs.

Ajoutant que l’enquête partiale et déloyale doit être écartée des débats. (Cass. soc. 9 nov. 2017, n°16-15515)

Pour conclure, l’enquête SSCT (Santé Sécurité et Conditions de Travail) ne vient pas pointer nécessairement un danger grave et imminent. Elle analyse surtout un incident afin d’améliorer la protection des salariés.

Pour autant, si la situation d’un danger grave se présente, l’employeur doit informer les représentants du personnel dans les plus brefs délais de toute situation grave.

Selon la circulaire DRT n° 93-15 du 25 mars 1993, un risque grave renvoie « à tout danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée ».

Le défaut d’information, ou son retard, pourrait, le cas échéant, être constitutif du délit d’entrave.

Pour toutes questions, vous pouvez nous contacter.

Juliana CURATOLO
Juriste en Droit Social
ICMP


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