Focus sur le caractère intentionnel du travail dissimulé

  • Les situations visées par le travail dissimulé

La notion du travail dissimulé recouvre plusieurs situations en réalité :

– La dissimulation d’activité (1) (art. L.8221-3 du Code du travail) ;

– La dissimulation d’emploi salarié (2) totale ou partielle (art. L.8221-5 du Code du travail).

Ces notions sont très larges et regroupent par exemple :

Une volonté de se soustraire aux obligations d’immatriculation de l’entreprise au répertoire des métiers ou au tribunal de commerce ou à procéder à la poursuite de l’activité après un refus d’immatriculation ou après une radiation, de ne pas procéder aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale.

Une volonté de se soustraire à la déclaration préalable à l’embauche, à la délivrance d’un bulletin de paie, à mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, aux déclarations relatives aux salaires ou cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement ou de l’administration fiscale.

  • De la nécessaire intentionnalité

Il est utile de préciser que sans intention de le commettre, il n’y a point de délit. (Art. 121-3 al. 1er du Code pénal)

Le Conseil constitutionnel est venu rappeler dans sa décision du 16 juin 1999 (Cons. const. 16 juin 1999, n° 99-411) qu’il est nécessaire de démontrer de l’élément moral, c’est-à-dire du caractère intentionnel du délit et que ce dernier ne saurait résulter de la seule imputabilité de l’acte matériel.

C’est pourquoi l’appréciation de l’intentionnalité du travail dissimulé relève du pouvoir souverain du Juge du fond. (Notamment Cass. soc., 14 oct. 2015, n° 14-12193)

  • Le contour de la jurisprudence concernant le travail dissimulé

Ici, nous nous proposons d’étoffer régulièrement ce point en ajoutant de la jurisprudence sans avoir la prétention d’en faire un catalogue exhaustif.

  • Ainsi, n’a pas été reconnu comme travail dissimulé, le fait de (nous complèterons régulièrement cette rubrique) :

– Voir annuler une convention de forfait jour et de condamner l’employeur à 1.156,98 heures supplémentaires au cours de l’année 2013, 220,02 heures supplémentaires au cours des mois de janvier à mars 2014, 226,70 heures supplémentaires à compter du mois d’avril 2014, alors qu’il ne se déduit pas d’une convention de forfait jour annulée le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi en mentionnant sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli. (Cass. soc., 23 sept. 2020, n° 18-24798)

– Qu’un formateur soutienne avoir réalisé des heures de travail au-delà son temps partiel à l’appui duquel il a lui-même établi un calcul purement théorique dont les prémisses des heures prétendues réalisées ne sont pas établies d’autant qu’il ne comporte aucunement les heures de travail effectuées par jour, par semaine ou par mois, même de manière sommaire, outre le fait qu’il comporte des incohérences, ne permet pas à l’employeur de répondre utilement en application de l’article L.3171-4 du Code du travail et par voie de conséquence, ne démontre point le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi en mentionnant un nombre d’heures de travail accompli inférieur à la réalité. (Cass. soc., 9 sept. 2020, n° 18-26238)

  • Mais le caractère intentionnel du travail dissimulé a été reconnu dans les cas suivants (nous complèterons régulièrement cette rubrique) :

– Le fait qu’une salariée soit soumise à une convention de forfait jour non conforme à sa classification ni autorisée par la convention collective applicable et que de très nombreuses heures non rémunérées soient réalisées entre 2008 et 2012, dont l’employeur ne pouvait ignorer l’existence au regard de la petite taille de l’entreprise, caractérise l’intentionnalité du travail dissimulé. (Cass. soc., 5 avril 2018, n° 16-22599)

– Le fait que l’employeur sache que son livreur chargé d’approvisionner les hypermarchés de la région commençait tôt le matin et restait tard le soir pour procéder aux livraisons éventuelles. Que se soustrayant aux obligations conventionnelles de noter sur un registre chaque mois les heures effectuées, l’entreprise s’est contentée de lui payer 8 heures supplémentaires par semaine majorées à 25%, alors que sur la période allant du mois de novembre 2009 au mois de mai 2016, le salarié a tenu un relevé manuel et quotidien de ses horaires de travail, comportant le calcul des heures de travail quotidiennement effectuées ainsi que le nombre total des heures de travail effectuées au cours de chaque semaine de  Qu’à ce titre, l’employeur a été condamné à 67000€ et 6700€ au titre des congés payés afférents représentant plusieurs milliers d’heures. Qu’au vu de son importance, l’employeur ne pouvait pas ignorer le non-paiement des heures réclamées ce qui a déterminé le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi salarié. (CA Reims, ch. soc. 4 juil. 2018, n° 14/00813)

– Le fait qu’une société de distribution d’imprimés et journaux publicitaires dont la durée de travail des salariés repose sur un système de quantification préalable prévu par la convention collective de la distribution directe (IDCC 2372) mentionne sur le bulletin de paie d’un distributeur un nombre d’heures inférieur à celui réellement effectué, puisqu’informée des horaires qu’il effectuait en ce qu’ils étaient supérieurs à la pré-quantification et qu’il lui avait été interdit d’indiquer sur ses feuilles de route les heures réellement accomplies, justifie le caractère de la dissimulation d’emploi salarié. (Cass. soc., 5 juin 2019, 17-23228)

– Le fait pour un agent de fabrication de passer par l’atelier pour transporter du matériel sur les chantiers et inversement constitue du temps de travail effectif. La Cour d’appel ayant constaté que l’entreprise a minoré la réalité des heures supplémentaires et n’a procédé à aucune régularisation de la situation, malgré la réclamation écrite du salarié et sa saisine du conseil de prud’hommes, a justifié sa décision en caractérisant l’élément intentionnel de la dissimulation d’emploi salarié. (Cass. soc., 9 sept. 2020, n° 18-26670)

– Le fait de dissimuler des heures supplémentaires en frais de déplacement pour un chauffeur poids lourd constitue le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi en mentionnant un nombre d’heures de travail accompli inférieur à la réalité. (Cass. soc., 9 sept. 2020, n° 18-23093)

– Le fait de ne pas procéder à la déclaration préalable à l’embauche de juillet 2012 à octobre 2013 ainsi qu’à la délivrance des bulletins de paye et aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci, constitue l’élément intentionnel de la dissimulation d’activité et de la dissimulation d’emploi salarié. (Cass. crim., 13 oct. 2020, n° 19-87172)

Pour toutes questions, vous pouvez nous contacter.

Fabien THOMAS
Directeur de la société ICMP
06 62 65 90 48 – 09 53 19 02 17

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