218 contrats de mission! Qui dit mieux?

Le 12 novembre 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation (arrêt n° 18-18294) est venue rappeler :

– qu’en cas de contestation sur le motif de recours concernant le travail temporaire, il appartient à l’entreprise utilisatrice de démontrer la réalité du motif énoncé dans le contrat (1),

– que l’absence de justification de la réalité du motif énoncé dans le contrat fait encourir la requalification en CDI (2),

– que le salarié ne peut conclure des contrats de missions successifs sur le même poste pour des motifs d’accroissement temporaire d’activité (3),

– que les conséquences de la rupture abusive en cas de requalification à durée indéterminée peuvent être partagées in solidum par l’entreprise utilisatrice et par l’entreprise de travail temporaire (4).

  • En l’espèce :

Un salarié a signé 218 contrats de mission entre le 19 mai 2008 et le 15 février 2013 avec une entreprise de travail temporaire.

Il a été mis à disposition de la même société utilisatrice pour exercer des fonctions de préparateur matières premières, et ponctuellement celles d’agent de préparation, d’agent de préparation polyvalent, mélangeur et opérateur.

Constatant que :

– ses contrats de mission avaient pour but de pouvoir durablement à un emploi,

– que la société utilisatrice ne justifiait pas la réalité du motif de recours pour accroissement temporaire de l’activité,

– qu’en outre, le délai de carence entre les contrats de mission n’était pas respecté ;

il a saisi la juridiction prud’homale en faisant attraire l’entreprise utilisatrice aux fins de la voir condamner à supporter :

– une indemnité en raison de la requalification à durée indéterminée sur l’ensemble de ses contrats de mission,

– diverses demandes liées à l’exécution des contrats.

L’entreprise utilisatrice a alors appelé à la cause la société de travail temporaire.

  • La décision :

La Cour d’appel de Colmar dans son arrêt du 19 avril 2018 (n° 16/02088 N° Lexbase : A8935XLI) a condamné in solidum la société utilisatrice et de la société de travail temporaire à payer au salarié :

– 10000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3069,80€ brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 306,80€ brut à titre de congés payés sur préavis,

– 1433,60€ à titre d’indemnité de licenciement,

– Le remboursement à Pôle Emploi des prestations de chômage dans la limite de 3 mois à proportion de 80% par la société utilisatrice et de 20% par la société de travail temporaire,

Et la condamnation par la société utilisatrice à payer au salarié :

– 1534,90€ à titre d’indemnité de requalification.

La chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté les pourvois de la société utilisatrice et de la société de travail temporaire. (Cass. soc., 12 nov. 2020, n° 18-18294)

  • Explications :

A titre liminaire, il convient de rappeler que le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail. (Art. L.1221-2 al. 1er du Code du travail)

(1) Au visa de l’article L.1251-6 du Code du travail, le  travail temporaire ne peut être conclu que pour une tâche précise par définition « temporaire », notamment en cas de remplacement d’un salarié absent ou en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.

D’autres cas de figure existent.

Et en cas de contestation par le salarié, il appartient à l’entreprise utilisatrice de démontrer la réalité du motif du contrat de mission. (Cass. soc., 28 nov. 2007, D. 2008 : 1460, note Fadeuilhe ; RJS 2008, 173, n° 235 ; 11 mai 2017, n° 16-13395)

(2) L’absence de motif de recours du contrat de mission, son imprécision ou son inexactitude, fait encourir la requalification à durée indéterminée au visa de l’article L.1251-40 du Code du travail auprès de l’entreprise utilisatrice à compter du 1er jour de la première mission irrégulière. (Cass. soc. 21 janv. 2004 : RJS 2004, 243, n°352)

Et lorsqu’il y a des périodes non travaillées postérieures à la requalification en CDI entourant les contrats de missions, le salarié est fondé à obtenir un rappel de salaire auprès de l’entreprise utilisatrice dès lors qu’il est établi qu’il n’a pas travaillé pour d’autres entreprises pendant ces périodes et qu’il ne connaissait ses dates de début et de fin de mission qu’au fur et à mesure qu’il les effectuait, de sorte qu’il se tenait à la disposition de cette société. (Cass. soc. 10 nov. 2009 : RJS 2010. 77, n° 101 ; Dr. 0uvrier 2010. 284, obs. R. Lokiec ; JSL 2009, n° 267.268-3)

(3) Au visa de l’article L.1251-36 du Code du travail, il ne peut y avoir de missions successives ayant pour objet la même fonction pour un motif d’accroissement temporaire d’activité.

Il est nécessaire de respecter un délai de carence entre deux missions : (Art. L.1251-36-1 du Code du travail)

A défaut de stipulation dans la convention ou l’accord de branche conclu en application de l’article L. 1251-36, ce délai de carence est égal :
1° Au tiers de la durée du contrat de mission venu à expiration si la durée du contrat incluant, le cas échéant, son ou ses renouvellements, est de quatorze jours ou plus ;

2° A la moitié de la durée du contrat de mission venu à expiration si la durée du contrat incluant, le cas échéant, son ou ses renouvellements, est inférieure à quatorze jours.

Les jours pris en compte pour apprécier le délai devant séparer les deux contrats sont les jours d’ouverture de l’entreprise ou de l’établissement utilisateurs.

Ajoutant que les dispositions du Code du travail prévoient des sanctions pénales en cas de non-respect du délai de carence, à savoir une amende de 3750€, et 7500€ en cas de récidive outre une peine de prison de six mois (art. 1255-9 du Code du travail), et ceci au motif que le contrat de mission ne peut avoir ni pour objet et ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise et permanente de l’entreprise utilisatrice. (Art. L.1231-5 du Code du travail)

Sur ce point, l’entreprise utilisatrice encourt une amende de 3750€, et 7500€ en cas de récidive outre une peine de prison de six mois. (Art. L.1255-3 du Code du travail)

Enfin, il n’est pas impossible de solliciter en cas de non-respect du délai de carence la requalification auprès de l’entreprise de travail temporaire en raison du non-respect des règles de recours à l’intérim. (Art. L.1251-40 du Code du travail ; Cass. soc., 12 juin 2014, n° 13-16362)  

(4) Sur le fondement du même article (L.1251-40) il n’est pas exclu que l’entreprise de travail temporaire soit condamnée à supporter les conséquences de la requalification avec l’entreprise utilisatrice lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’œuvre est interdite n’ont pas été respectées, à l’exception de l’indemnité de requalification dont l’entreprise utilisatrice est seule débitrice.

On parle de condamnation in solidum. (Précédemment, Cass. soc., 20 déc. 2017, n° 15-29519)

Pour toutes questions, vous pouvez nous contacter.

Fabien THOMAS
Directeur de la société ICMP
06 62 65 90 48 – 09 53 19 02 17

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